Ce jeudi 25 novembre s’est tenu dans les locaux de RVZ le premier workshop Be4Post organisé depuis le début de la pandémie du Covid-19. L’occasion de se retrouver pour certains, de rencontrer pour la première fois de nouveaux membres, mais surtout d’échanger sur les sujets qui font nos métiers.
Au programme de ce workshop, un voyage à travers la théorie et la mise en pratique de la couleur appliquée à l’image numérique.
Animé par Brice Barbier (Be4Post / ADIT), l’après-midi s’est déroulé en 3 parties et autant d’intervenants : D’abord Olivier Patron (ADIT) pour la partie théorique des espaces colorimétriques, puis Mathieu Leclercq (Be4Post) pour la mise en pratique sur Baselight, et enfin l’étalonneur Sébastien Mingam (Herve Bay’s) avec qui l’on a pu échanger sur sa vision de son métier.
De gauche à droite : Brice Barbier, Olivier Patron, Mathieu Leclercq (photo : Elie Fischer)
Le workshop avait lieu dans une salle plongée dans l’obscurité et une captation ne pouvait, malheureusement, pas restituer l’expérience offerte par les images diffusées. L’événement n’a donc pas été filmé.
C’est pourquoi je vais essayer de rendre compte de manière synthétique des 3 parties présentées par les différents intervenants.
Olivier Patron (photo : Elie Fischer)
Partie 1 - Olivier Patron (ADIT) : La théorie de la couleur appliquée aux espaces colorimétriques.
Après un rapide rappel des concepts touchant la couleur et la vision humaine, Olivier nous a expliqué comment (et pourquoi) on est arrivé avec le temps à une représentation simplifiée des espaces colorimétriques. Les représentations que l’on connait aujourd’hui sont basées sur une forme triangulaire du gamut (les coordonnées x,y des trois primaires, ainsi que le point blanc) posée sur une « tranche » en deux dimensions du diagramme de chromaticité.
Ici, les couleurs visibles par l'oeil humain mis dans l'espace X,Y,Z
Or, il faut garder à l’esprit qu’en réalité, les espaces colorimétriques se représentent en 3 dimensions. L’existence de gamuts de tailles et de formes différentes implique de coder parfois des coordonnées négatives, que l’on considère alors comme « hors gamut ». C’est particulièrement vrai lorsque l’on parle des gamuts « scene-referred », face aux gamuts « display-referred ». Les premiers peuvent parfois couvrir bien au-delà du spectre visible, afin d’encoder toutes les couleurs existant dans une scène. Les gamuts « display-referred » sont, eux, tous inclus dans le domaine visible, et nécessitent une calibration pour être affichés correctement.
Il est donc nécessaire, pour faire travailler dans une même chaîne ces différents espaces, d’opérer des conversions. Il existe, en gros, deux manières de faire : les luts et le color-management. Aujourd’hui, aucun des deux n’est une méthode parfaite. Les luts sont simples d’utilisation, mais sont « bornées » et donc potentiellement limitantes dans notre travail. Le color-management, puisque il est opéré de manière purement mathématique au sein du logiciel, n’a pas les contraintes d’une lut et est, en plus, réversible. Par contre, il peut apparaître avec cette méthode (notamment en ACES) des couleurs hors gamuts (valeurs négatives, sur-saturées), qu’il faut alors pouvoir ramener dans l’espace de travail, sous peine de les faire apparaitre sous forme d’un aplat de couleur dans l’image. Pour palier à ce problème de conversion d’espace que sont les couleurs hors gamut, il existe aujourd’hui des outils au sein des logiciels, comme le « compress gamut ».
Enfin, Olivier a abordé l’apparition du HDR ces dernières années, et la manière dont celui-ci change notre façon de visualiser le signal, mais aussi notre idée de ce qu’est la dynamique d’une image exposée. En effet, le rapport de grandeur entre un espace SDR et un espace HDR redéfinit complètement la notion d’échelle de saturation et de luminosité dans une image. Pour rappel, le pic lumineux est de 100 nits en SDR, et entre 750 (OLED) et 1500 nits (LCD) sur les téléviseurs HDR les plus récents.
Partie 2 - Mathieu Leclercq (Be4Post) : Mise en pratique dans Baselight
Mathieu Leclercq (photo : Elie Fischer)
Pour illustrer les différentes manières possibles de travailler les espaces couleurs, Mathieu a pris l’exemple d’un workflow hybride bien connu à l’époque de l’apparition de l’étalonnage numérique : le digital-intermediate. L’idée est de scanner le négatif dans un espace colorimétrique adapté à la dynamique du négatif film, le Cineon. En appliquant en sortie de logiciel une lut simulant le retour sur film, il est donc possible de travailler avec la plus grande latitude possible l’image, tout en ayant une idée du résultat final projeté, avant même de shooter l’étalonnage def sur film.
Comme énoncé précédemment, les luts, bien pratiques par ailleurs, peuvent parfois se trouver limitantes dans certains workflows. Un bon exemple serait de vouloir utiliser, dans un projet color-managed, une lut Arri LogCtoRec709 contenant déjà le look du ou de la chef-opératrice dans une timeline contenant des rushes Red et des Rushes Alexa. La logique serait donc de convertir en entrée tous les rushes vers le LogC, pour ensuite travailler l’étalonnage et enfin appliquer la lut en sortie. Comme observé lors de la démonstration, cette technique peut avoir des effets non désirés sur les rushes Red, contraignant à devoir faire des ajustements spécifiques, et donc peu pratiques.
En ACES, une technique similaire consiste à utiliser en combinaison avec la lut « lookée » une inverse-DRT, pour isoler le look de la partie « technique » de la lut.
Encore une fois, ce genre de technique, si elle peut fonctionner, a aussi plus de chances de faire apparaitre des effets indésirables sur certains plans car on « tire » beaucoup sur le signal. De plus, une technique fonctionnant en SDR peut, une fois affichée en HDR, faire apparaître des problèmes très visibles. C’est là le principal problème des luts : elles contraignent à un workflow relativement rigide, peu ouvert aux éventuels changements de directions futurs.
On en arrive donc à la conclusion que le système color-managed, pensé en amont d’un projet, est le meilleur moyen d’assurer un workflow solide et ouvert aux changements. Il faut cependant garder à l’esprit que toute conversion d’espaces colorimétriques dits « wide gamut » peut apporter son lot d’aberrations chromatiques sous forme de couleurs hors-gamut.
Partie 3 - Echange avec Sébastien Mingam, étalonneur (Herve Bay’s)
Sébastien Mingam (photo : Elie Fischer)
Enfin, Sébastien Mingam s’est prêté à une séance de questions/réponses avec les personnes présentes, après avoir brièvement présenté son parcours professionnel. Utilisateur inconditionnel de Baselight, il nous a expliqué pour quelles raisons le logiciel est - de loin - son préféré. Sébastien a également parlé de sa vision de son métier. En effet, sa curiosité de découvrir de nouveaux outils, et de développer ses propres techniques, sont dans son esprit les caractéristiques d’un artisan, plus que d’un artiste.
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Malgré l’absence de captation vidéo, la richesse des interventions méritait que les personnes non présentes disposent d’un compte-rendu étoffé du workshop. J’ai personnellement appris énormément et affiné certains sujets qui étaient, avant ce jour, assez abstraits dans mon esprit. Les profils des membres de l’association sont différents, tout comme leurs années d’expérience. J’espère avec ce compte-rendu apporter, au moins à certains, une meilleure compréhension de concepts essentiels à nos métiers.
Jérôme Tanguy
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